Du 3 au 7 juin 2022 à Chicago (Etats-Unis), la communauté mondiale en cancérologie est réunie pour l’incontournable congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO). Pendant cinq jours, sur tous les fronts de la cancérologie, les médecins du réseau Unicancer dont ceux de l’Institut Curie, présents en nombre partagent leurs résultats très prometteurs pour accélérer le combat contre le cancer.
Le 7 juin 2022, le Dr Etienne Brain, oncologue médical, spécialiste du cancer du sein et de la prise en charge des patients âgés à l’Institut Curie, présente à l’ASCO les résultats finaux d’une étude inédite et très attendue promue par Unicancer : Aster 70s. Cet essai clinique de phase 3 pose les questions de l’optimisation et de la désescalade thérapeutique, de la personnalisation des traitements et de l’accès à l’innovation pour cette population âgée. Par ailleurs, le Dr Etienne Brain s’est vu décerné le 4 juin à l’ASCO le prix B.J. Kennedy d’excellence scientifique en oncogériatrie.
À retenir :
- Près de 2 000 patientes de plus de 70 ans dans l’étude Aster 70s
- Des patientes atteintes d’un cancer du sein hormono-dépendant, cas le plus fréquent
- Etude de phase 3 avec cohorte parallèle
- Aboutissement d’une recherche clinique en oncogériatrie centrée sur la qualité de vie
- Un recueil de données gériatrique inégalé (perception et acceptabilité des soins, autonomie, indépendance, survenue d’effet secondaire, biobanque…)
Près de la moitié des cancers surviennent chez des personnes de 65-70 ans et plus. L’incidence après cet âge va continuer à augmenter dans les années à venir, posant des enjeux majeurs en terme de santé publique. Or, cette population âgée est encore trop souvent exclue des essais thérapeutiques, nécessaires pourtant pour développer des traitements adaptés.
« Avec près de 2 000 femmes inclues sur des critères d’éligibilité très ouverts, Aster 70s est une étude remarquable dont le recrutement a été mené sans retard sur 4 ans entre 2012 et 2016. Dans ce programme, plus de la moitié des patientes avec un cancer du sein, âgées de 70 ans ou plus, ont été tirées au sort pour recevoir ou non de la chimiothérapie après la chirurgie. C’est la première fois que l’on dispose d’une étude d’une telle ampleur au sein d’une population qui est habituellement exclue des essais cliniques »
Dr Etienne Brain, oncologue médical, spécialiste du cancer du sein et de la prise en charge des sujets âgés atteints de cancer à l’Institut Curie
« Cette étude inédite illustre parfaitement la volonté d’Unicancer de rendre l’innovation thérapeutique accessible à tous. Le groupe GERICO travaille sans relâche afin de mener des essais cliniques de grande envergure chez le sujet âgé, population trop souvent absente des essais cliniques »
Pr Jean-Yves Blay, Président d’Unicancer
Le Pr Steven Le Gouill, directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie a déclaré : « Je me réjouis de cette prestigieuse reconnaissance outre-Atlantique qui honore aujourd’hui le Dr Etienne Brain pour ses travaux menés depuis des années au sein de l’Institut Curie. Les résultats qu’il expose à l’ASCO constituent un véritable tournant pour la recherche clinique en oncogériatrie et pour l’accès à l’innovation des patientes et patients âgés ».
Etude Aster 70s, promue par Unicancer et présentée à l’ASCO 2022
Objectifs Aster 70s
Les avantages de la chimiothérapie administrée en plus de l’hormonothérapie restent controversés chez les patientes âgées de plus de 70 ans atteintes d’un cancer du sein hormono-dépendant. Dans ce contexte, l’étude Aster 70s constitue le premier essai thérapeutique multicentrique basé sur l’analyse d’une signature génomique tumorale (grade génomique) utilisée comme biomarqueur pour choisir de réaliser ou non une chimiothérapie adjuvante chez des personnes de plus de 70 ans. L’objectif de l’étude était d’évaluer l’efficacité, sur la survie globale, d’un tel traitement de chimiothérapie post-opératoire en cas d’agressivité de la tumeur (grade génomique élevé) : chimiothérapie et hormonothérapie versus hormonothérapie seule.
Ainsi, 1 969 patientes (issues de 61 centres français et 12 centres belges) atteintes d’un cancer du sein hormono-dépendant [récepteurs aux œstrogènes positifs, HER2-négatif (ER+/HER2-)], primitif ou sous forme d’une rechute locale, ont été incluses dans l’étude, sans imposer de critères d’éligibilité restrictifs. Les patientes présentant une tumeur de haut grade génomique (tumeurs les plus agressives) – soit 1 089 patientes de l’étude – ont été randomisées en deux groupes : le premier recevant une chimiothérapie et une hormonothérapie après la chirurgie, et l’autre groupe recevant uniquement une hormonothérapie. Le suivi médian est de 5,8 ans et l’âge médian de 75 ans.
Les résultats de l’étude Aster 70s ne révèlent pas de bénéfice significatif sur la survie globale entre le groupe de patientes auxquelles les deux traitements ont été attribués et celui où seule l’hormonothérapie était prévue. Cependant, il existe pour certaines patientes une tendance en faveur de la chimiothérapie pour un bénéfice marginal (< 2%), confortée par des analyses secondaires. En effet, ces résultats indiquent le suivi réel des traitements tenant compte du fait qu’environ 10% des patientes tirées au sort – notamment celles ayant reçu une chimiothérapie – n’ont pas suivi le traitement attribué (un taux semblable et fréquents dans les grandes études randomisées).
ASTER 70s et la signature du grade génomique pourraient donc permettre d’identifier certaines patientes pour qui, même marginal, le bénéfice de la chimiothérapie serait suffisant pour en discuter l’indication.
Une recherche clinique en oncogériatrie nécessaire et centrée sur la qualité de vie
Le volume important des données collectées dans Aster 70s permettra de rechercher dans le détail des facteurs tumoraux ou individuels pour décider de donner ou non une chimiothérapie après la chirurgie. Les informations amassées en matière d’état de santé des patientes (dont les paramètres gériatriques), leur qualité de vie, mais également la biobanque (tissus, analyses de sang…), permettront également d’effectuer un travail considérable de corrélation entre bénéfice, dégradation ou accélération du vieillissement que le traitement lui-même peut déclencher.
« Nos résultats interrogent sur la désescalade thérapeutique chez certaines de nos patientes âgées et sur le biais considérable de nos attitudes, recourant par défaut, sans démonstration, aux mêmes standards que chez nos patients plus jeunes. La masse d’informations recueillies dans Aster 70s va permettre d’étudier les ajustements et les adaptations nécessaires de ces traitements, souvent sur-prescrits comme la chimiothérapie. En particulier les données autour de la qualité de vie, l’autonomie, l’indépendance, la survenue d’effets secondaires, l’acceptabilité des soins… nous seront très précieuses pour faire avancer nos recommandations, intégrant certes, innovation en oncologie, mais avec un recentrage sur la qualité de vie et tous les autres paramètres de santé qui comptent chez chacun, mais encore plus chez un sujet âgé »
Dr Etienne Brain, Institut Curie
L’ensemble de ces travaux convoquent le besoin primordial d’une recherche clinique spécifique dans cette population très fréquente de femmes âgées, où qualité et perception des soins sont absolument essentiels dans la discussion avec le patient.